Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Boubacar Baïdy Guéye, Bouba Guéye pour les intimes est revenu sur la mésaventure de son père Amadou Baïdy Guéye au temps de la révolution, le premier régime. Du camp Boiro en passant par celui du Kémè Bourama de Kindia et sans occulter la cérémonie de commémoration du samedi 25 janvier 2020 dernier qui a été empêchée pour la première fois depuis 1985 au camp Boiro. Notre interlocuteur n’a rien laissé. Lisez!
Guineequotidien.com : Bonjour monsieur Guéye, vous militez dans l’Association des victimes du camp Boiro. Est-ce que par sympathie ou bien vous avez été victime ?
Boubacar Baïdy Guéye : Je suis membre de l’Association des victimes de camp Boiro, par nature. Parce que je suis le fils direct d’une des victimes directes de la révolution.
Il s’appelait comment ?
Amadou BaÏdy Guéye, premier président de la chambre économique de Guinée. Il a été arrêté le 26 mars 1969 dans le complot dit complot de Kaman Diaby et Fodé Kéïta. Puis accusé par le pouvoir d’antan de financer ce complot.
Quand on l’arrêtait, je n’avais que cinq ans. Mon papa est né en 1922 à Dinguiraye. Dans les années 1940-50, il est allé en aventure à Bamako au Mali puis à Abidjan en Côte d’Ivoire. A l’indépendance, il est rentré au pays pour accompagner la toute nouvelle République. C’est dans ce cadre qu’il fut le premier président de la chambre économique de la Guinée de 1959 à 1962. En 1962, il implanta une usine de production de pains et de pâte alimentaire qu’on appelait SADICOM à Bonfi. En 1965, SADICOM a fusionné avec une société Suisse pour créer la SIPADE et là ils ont rajouté les Unités de production de bonbons et de biscuits. Parallèlement, il avait une société immobilière Bâti-Afrique qui préfinançait des logements et les récipiendaires remboursaient. Il a aussi créé la première compagnie africaine de transport. Il a fait venir des camions MAC pour le transport des agrégats de l’Université Gamal Abdel Nasser, du stade du 28 septembre… Ce sont ses camions qui ont fourni des agrégats à ses différents
chantiers. Il fut un ami de Sékou Touré, (premier président de la Guinée, ndlr).
Le 26 mars 1969, une nuit, il fut arrêté soit disant d’avoir financé le complot de Kaman Diaby et de Fodéba Kéïta. Il était au camp Boiro jusqu’au jour de l’agression portugaise le 22 novembre. Les portugais ont cassé les cellules, ainsi il est sorti de là avec ses cousins Babady Thiam, Tidjane Diop, Sabitou Bah, Mody Habib Tall… Ils se sont retrouvés dans son domicile à Donka. Puis il y a un milicien qui est venu avec une Jeep russe, les trouvé là et lui a proposé de traverser
la frontière. Il a dit qu’il n’a pas à fuir, qu’il veut d’abord
rencontrer son cher ami Sékou Touré pour savoir ce qu’il a fait. Il disait ne pas comprendre pourquoi il a été arrêté. Selon certains témoignages, les gens ont tout fait, il n’a pas voulu et les autres sont restés là. Dans l’après-midi, il y a un communiqué qui les demandait à venir au niveau de l’arrondissement de Dixinn, encore au nom
de cette même révolution. En bon citoyen, il s’est rendu en ces lieux. C’est de Dixinn, on les a embarqués dans une Jeep pour le camp Kèmè Bourama de Kindia. Trois mois après, il fut passé aux armes par peloton d’exécution et jeté dans de fosse commune.
En 1984, le CMRN a pris le pouvoir suite à la mort de Sékou Touré. Nous qui étions en exile en Côte d’Ivoire, nous sommes rentrés au pays et depuis nous nous battons pour juste savoir la vérité sur ces exactions. Pour savoir où nos parents sont ensevelis et faire le vrai deuil. La majorité de nos mères sont décédées sans pouvoir faire ce deuil.
Et pour la petite histoire depuis 1985, nous avons deux dates de commémoration en tant qu’Association des victimes du camp Boiro. C’est le 25 janvier et le 18 octobre. Depuis cette date, on l’a fait sans heurt. Nous déposons une gerbe de fleurs au niveau du Pont 8 Novembre. Puis de là, nous faisons une marche silencieuse jusqu’au camp Boiro où nous allons immoler un animal et lire le coran pour le repos des âmes
de nos disparitions.
Mais, malheureusement le 25 janvier de cette année 2020, pour la première fois, nous avons été empêchés d’accéder à la partie carcérale qui nous a été aménagée
par le Conseil national pour la démocratie et le développement, (CNDD) en 2010 lorsqu’ils ont reconstruit le camp. Quand ils ont cassé la tête de morts, ils ont reconstruit la même tête de mort dans la zone carcérale du camp. Et ils nous ont cédé l’espace pour pouvoir venir faire nos prières. C’est seulement cette année que l’accès nous a été interdit. Jusque-là, nous ne savons pas pourquoi. Nous n’avons rien demandé, même pas crié vengeance. Nous avons juste demandé à l’Etat de
réhabiliter les âmes de nos disparus. Est-ce trop demandé ?
Mais dans la vie des hommes à un moment donné, on se pose des questions par rapport aux enfants que nous faisons pour un futur meilleur. Parce que nous aspirions vivre en harmonie. Donc de corriger les tares, les erreurs du passé pour que plus jamais ça. Voilà la démarche de l’Association des victimes du camp Boiro. Ce n’est pas une autre chose. C’est une association apolitique, qui lutte même contre l’ethnocentrisme, qui ne se bat pour que la paix règne. Il faut qu’on corrige les erreurs du passé. Ce qui cause les déchirures, c’est
l’injustice. Que Dieu nous en réserve.
Justement, récemment vous avez fait savoir que les crimes commis en Guinée ne sont ethniques mais plutôt ce sont des crimes d’Etat. Expliquez-nous ?
Vous savez, il faut être serein. Il faut avoir un esprit de
discernement. Nous ne engluions pas dans les méandres de la bêtise sinon la facture sera amère pour nous tous. Les gens confondent les choses. Les crimes du PDG : parti Etat sont des crimes d’Etat, ce n’est pas un crime malinké, parce que Sékou Touré est malinké, non. Si on vérifie. Il y a eu plus de victimes malinkés que d’autres. Mais certaines ethnies s’approprient des crimes. Il n’en est pas question.
En 1985 ce qui s’est passé avec le coup Diarra Traoré (régime de Lansana Conté, ndlr) des exécutions qui ont eu lieu et autres ne sont pas un crime sousou, c’est un crime d’Etat. C’est de cela, dont il s’agit.
En 2009 au niveau du stade du 28 septembre; le massacre qui a eu lieu ce n’est pas un crime forestier, c’est un crime d’Etat. Il faut qu’on le sache. Arrêtons d’ethniciser les crimes, cela n’arrange pas le pays. La Guinée a assez saigné, prenons de la hauteur pour parler de nos douleurs en toute objectivité et corriger ces tares. Essayer de faire une justice réparatrice.
En quoi faisant ?
La justice réparatrice, on peut prendre cas par cas ou faire un truc d’ensemble pour aller vers un pardon. Pour dire oui : il y a eu des erreurs, des tueries et réhabilitons les défunts. Le simple fait de déclassifier les charniers où nos parents sont ensevelis est un acte de réparation. C’est de ça dont il s’agit, pas autre chose. Donc j’en appelle aux autorités d’aider la Guinée à amener les Guinéens à vivre en harmonie, en imposant une vraie justice, une justice impartiale.
Pas la justice des braves, pas la justice du peuple que tout le monde utilise alors que le peuple est ailleurs. Que Dieu nous aide.
Amen !
Entretien réalisé par Richard TAMONE