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France/Débarquement de Provence: le rôle historique des tirailleurs africains

Ce 15 août, la France commémore le 80e anniversaire du débarquement en Provence des forces alliées, prélude à la fin de l’occupation allemande. L’opération, connue sous le nom de « Anvil-Dragoon », avait mobilisé 900 000 hommes au total dont 250 000 Français de l’armée B, placée sous les ordres du général Jean de Lattre de Tassigny. La moitié des troupes françaises étaient issues des anciennes colonies : tirailleurs sénégalais et algériens, goumiers et tabors marocains, pieds-noirs, marsouins du Pacifique et des Antilles. Ils ont largement contribué à la réussite de cette opération et à la libération des grandes villes comme Marseille, Toulon ou Fréjus. Retour sur l’aventure de ces « Indigènes ».

C’est en chantant « Nous sommes venus d’Afrique pour libérer la France » qu’ils ont débarqué le 15 août 1944 sur les plages de Provence. Ces soldats, estimés entre 100 000 et 120 000, que la hiérarchie militaire appelait « les indigènes », étaient originaires des colonies. Leur histoire remonte aux premiers temps de l’établissement de l’Empire français en Afrique.

Décret signé par Napoléon III

Dès 1830 la France a commencé à recruter des soldats dans ses colonies. Le décret créant formellement « au Sénégal un corps d’infanterie indigène sous la dénomination de tirailleurs sénégalais » date du 21 juillet 1857. Il fut signé par Napoléon III. Ces soldats, qui venaient de toute l’Afrique noire, étaient souvent des « volontaires forcés », désignés par les chefs de villages qui se débarrassaient ainsi des gêneurs de toute nature. Leurs effectifs n’ont cessé d’augmenter : ils sont passés de 1 000 en 1867 à 15 000 hommes en 1913.

La création d’un corps de tirailleurs dits « sénégalais » répondait initialement aux besoins d’effectifs pour les guerres coloniales. L’Empire colonial français n’aurait peut-être pas existé sans ces troupes noires qui ont participé à toutes les opérations de conquête de territoires menées par la République tout au long du XIXe siècle en Afrique et à Madagascar. Elles ont remplacé progressivement les soldats européens de base qui résistaient mal aux conditions climatiques tropicales.

Imaginés au départ comme des forces supplétives pour l’entreprise de colonisation, ces militaires africains se sont rapidement retrouvés sur les théâtres d’opérations en Europe. Des troupes algériennes issues de la tribu kabyle des Zwava se sont notamment illustrées à Bazeilles, pendant la guerre franco-prussienne de 1870.

La dépendance croissante de la métropole à l’égard des bataillons d’Afrique n’a pas toutefois conduit le gouvernement français à inclure l’Afrique dans l’appel à la mobilisation à la veille de la guerre en 1914. Cela s’explique par la polémique que suscitait la question à l’époque. Les partisans de la participation des troupes coloniales à des guerres en Europe, comme le colonel Charles Mangin, auteur du livre à succès La force noire (1910), croyaient que l’Afrique était un formidable réservoir de soldats pour la métropole. D’autres allaient encore plus loin et justifiaient le recrutement des soldats noirs dans les guerres européennes en arguant que l’Afrique avait une dette de sang envers la France. « L’Afrique nous a coûté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang. Mais les hommes et le sang, elle doit nous les rendre avec usure », affirmait le ministre des Colonies de l’époque Adolphe Massimy.

Or ce camp favorable aux soldats coloniaux avait en face de lui des spécialistes militaires franchement sceptiques quant à l’efficacité de l’emploi de ces troupes sur les fronts européens. Mais ces réserves furent balayées par les énormes besoins en hommes de la guerre totale que fut la Première Guerre mondiale. Dès 1916, une véritable chasse aux recrues fut mise en place pour combler les rangs vides. La direction des territoires coloniaux fit pression sur les chefs de village, organisant de véritables rafles. Des révoltes éclatèrent ici et là. La France de Clémenceau changea de tactiques et envoya le Sénégalais Blaise Diagneen 1917 pour persuader la jeunesse de l’Afrique noire à s’enrôler massivement pour sauver « la mère-patrie en danger ». De nombreux Africains sont morts sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Les historiens parlent de 72 000 combattants de l’ex-Empire français morts entre 1914 et 1918. Sur les 8 millions de soldats mobilisés pour ce conflit, la mobilisation des troupes coloniales françaises aurait concerné 180 000 personnes.

De nombreux Africains sont morts sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Les historiens parlent de 72 000 combattants de l’ex-Empire français morts entre 1914 et 1918. Sur les 8 millions de soldats mobilisés pour ce conflit, la mobilisation des troupes coloniales françaises aurait concerné 180 000 personnes.

La Seconde Guerre mondiale

La conscription devint obligatoire dans les colonies dès 1919. Le gouvernement français appela l’Afrique à la rescousse dès l’imminence d’une nouvelle guerre avec l’Allemagne. Les effectifs des contingents africains (Algériens, Marocains, Tunisiens, Malgaches et tirailleurs africains confondus) qui ont combattu aux côtés des Français pendant la Seconde Guerre mondiale s’élèvent à près de 300 000 hommes en 1939-1945. Au cours de la décisive bataille de France, en mai et juin 1940, 10 000 soldats noirs furent tués et 7 500 sur 11 000 moururent dans les camps de prisonniers de guerre. Beaucoup de ces prisonniers africains, gradés et simples soldats, étaient sommairement exécutés par les Allemands, ces derniers les considérant comme des sous-hommes. Malgré les rigueurs climatiques, les maladies et l’attitude des états-majors qui les assignaient systématiquement à des corvées subalternes, ces troupes issues des colonies se sont illustrées dans la campagne d’Italie en mai 1944 et ont joué un rôle décisif dans la libération de la métropole en 1944-45.

Mais dès l’automne 1944, alors que la France est progressivement libérée, les tirailleurs coloniaux de la 1ère armée (nom qu’avait pris entre temps l’armée « B » du général de Lattre de Tassigny) sont démobilisés. Dans ses mémoires de guerre, le général de Gaulle invoque la nécessité de ce « blanchiment de forces françaises » combattantes au motif que les tirailleurs, exténués par plusieurs années de combats subissent une crise du moral et ne soient pas en mesure de résister au froid dans les Vosges.

Nombre de tirailleurs vécurent mal cette décision unilatérale. Le 30 novembre 1944, plus d’un millier de ces soldats, démobilisés et regroupés dans le camp de Thiaroye près de Dakar, se révoltèrent pour réclamer le paiement de leurs arriérés de soldes et de leurs primes de démobilisation. La mutinerie fut violemment réprimée, faisant 35 morts et de nombreux blessés parmi les anciens tirailleurs. Les événements du camp de Thiaroye ont longtemps représenté pour les Africains l’exemple même de l’injustice coloniale et de l’ingratitude de la métropole envers les soldats indigènes qui avaient pourtant donné le meilleur d’eux-mêmes pour sa libération.

Cristallisation

La déception de ces soldats s’est creusée un peu plus lorsque le Parlement français a adopté en 1959 le décret dit de « cristallisation » bloquant le montant des pensions, retraites et allocations payées par l’Etat français aux anciens combattants et fonctionnaires issus des colonies. Il faudra attendre la sortie du film Indigènes (2006) de Rachid Bouchareb qui revient avec justesse et rigueur sur les sacrifices des anciens tirailleurs, pour que les législateurs français décident en 2007 la décristallisation complète des pensions des anciens tirailleurs.

C’est sous la présidence Chirac que les pensions des anciens tirailleurs ont été revalorisées pour que ces derniers perçoivent la même somme que les soldats français engagés dans la guerre. Cela a représenté un effort financier majeur, même si la majorité des tirailleurs étaient déjà morts.

Or, la reconnaissance par l’Etat français du sacrifice des tirailleurs africains n’a pas été que pécuniaire, comme l’illustre l’inauguration par le président Macron, en 2018, du Monument aux héros de l’Armée noire de Reims qui avait été détruit par l’armée allemande en 1940. L’inauguration simultanée de deux copies de ce monument, l’une à Bamako et l’autre à Reims, permit de consolider les liens entre la France et l’Afrique. C’est le lien du « sang versé », comme l’a rappelé le président français dans son discours prononcé à cette occasion : « La France a une part d’Afrique en elle et sur ce sol de Provence, cette part fut celle du sang versé ».

 

Avec RFI

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