Le 05 septembre 2021, la situation sociopolitique et économique notre pays a changé. Notre pays a enregistré un coup d’Etat conduit par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) dirigé par le colonel Mamadi DOUMBOUYA.
Notre rédaction a tendu son micro à Mr Sékou SACKO, président de l’ONG « CITOYENS ACTIFS » _CITACTS.
1- La Guinée est dirigée depuis le 05 Septembre 2021 par une junte dirigée par le Colonel Mamadi DOUMBOUYA. Comment avez-vous vécu cet évènement ?
Ce dimanche matin, j’étais reparti au lit après ma prière de l’aube. C’est mon épouse qui m’a réveillé pour me tendre le téléphone. Un ami m’a alerté sur ce qui se passait au Palais Présidentiel. Je n’étais pas si surpris compte de tout ce que le pays traversait déjà depuis le referendum du mars 2020. Je lui ai dis que l’ancien président voulait le déluge après lui dans son entourage.
2- Lorsque vous avez vu les images de l’ancien président coincé entre ses geôliers au milieu des foules dans les rues, quel a été votre sentiment ou émotion ?
J’étais triste de constater qu’il était sonné par ce qu’il traversait. Il a été très chanceux. Il suffit de comparer son cas à celui de Doe et Kadhafi pour saluer le sens humain de l’armée Guinéenne. Dans les circonstances pareilles, toutes les pires possibilités restent une proximité. Lorsqu’on perd à la loterie qu’on a organisé, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même. C’était la meilleure manière pour notre pays de tourner cette page de notre histoire sans effusion de sang d’innocents. D’ailleurs c’est à cause du professionnalisme des Forces Spéciales que la majorité des citoyens lui a ouvert le cœur et les bras pour les accueillir en libérateur.
3– Quelles sont les attentes prioritaires de la population vis-à-vis de la junte selon vous ? Quelles missions essentielles devraient être au cœur de la conduite de cette transition ?
Les attentes sont nombreuses et toutes urgentes. Trois volets retiendront forcement l’opinion publique. Le premier est axé sur le respect du droit humain des citoyens sans tenir compte de leur appartenance politique d’hier ou de demain. Une justice équitable et responsable doit s’appliquer à tout le monde. Ceux qui seront dans les collimateurs de la justice devraient bénéficier de la présomption d’innocence jusqu’au verdict. A cela, il faut ajouter la lutte outrancière contre l’insécurité galopante et la corruption dans l’administration publique. Le deuxième est orienté sur le coût de la transition. Les Guinéens souhaitent une transition qui n’effectuera que les dépenses indispensables à la marche de l’État. Contrairement aux transitions passées qui ont coûtées énormément aux contribuables guinéens, les autorités actuelles gagneront la confiance en limitant toutes les dépenses aux nécessaires. Précisons que pour le moment, nous avons des informations rassurantes sur le souci du président à préserver les maigres ressources du pays. Notre économie a financé trois élections en une seule année sans oublier les effets catastrophiques de la Covid-19. Pour terminer, les autorités de la transition sont attendus sur le respect de nos engagements vis-à-vis de nos partenaires bi& multilatéraux. Les institutions accompagnent un peuple et non individu. Les contrats signés au nom de la Guinée ne devraient être mise en cause. Nous avons salué l’engagement du CNRD, dès la première adresse à la nation de son président, à respecter toutes les clauses contractuelles qui ne contredisent les lois en vigueur.
4- La CEDEAO a dépêché une délégation à Conakry après son sommet extraordinaire pour exiger une transition de 6 mois. Pensez-vous que cette intrusion de cette organisation dans les affaires internes de la Guinée est normale ?
Ce n’est pas une intrusion. La CEDEAO est dans son rôle d’exiger le retour à l’ordre constitutionnel partout où il est violé dans la sous-région. Notre peuple panafricaniste est signataire de tous les textes qui nous condamnent, malheureusement, aujourd’hui. Au-delà de ce contexte standard, il revient aux autorités actuelles de faire un plaidoyer auprès de toutes organisations internationales pour leur expliquer les raisons ayant conduit l’armée républicaine à prendre à sa responsabilité pour freiner les dérives autoritaires et illégales de l’ancien régime. Ils doivent signaler au monde que nous avions cessé d’être un pays de loi depuis le forcing ayant abouti au troisième mandat du Président CONDE. Est-il utile d’ajouter les blocages de toutes les institutions soumises au pouvoir exécutif ? l’inféodation outrancière de la justice avec les arrestations et/ou libérations en dehors de toutes les procédures judiciaires. Il était temps pour les patriotes d’arrêter ce train que personne ne maitrisait ni la trajectoire et ni la destination. Le CNRD devrait être en mesure de plaider auprès de la CEDEAO de nous accorder un délai raisonnable de 18 mois comme le Mali pour un premier temps. Ensuite, nous devons solliciter l’implication de ces organisations dans toutes les démarches liées à la bonne marche de notre transition.
La récente conférence de presse organisée par les autorités du CNRD, à mon avis n’était pas opportune. Seule la voix diplomatique peut desserrer cet étau contre notre pays. Notre pays est économiquement sous la perfusion. Les aides et les investissements nous sont indispensables. Cela exige le label de ces organisations pour garantir leurs activités. Nous avons besoin de la compréhension de la communauté Internationale et de la cohésion Nationale pour la réussite de la transition.
5- La réussite de la transition que souhaite tout le peuple de Guinée exige combien de temps et quel chronogramme ?
L’ampleur du dégât est sans précèdent et cela dans tous les domaines. La transition doit ébaucher quelques chapitres avant de passer la main à un pouvoir légitime issu des élections libres, transparentes, inclusives et dont les résultats seront acceptés par toutes les parties prenantes. Ce gigantesque chantier de la construction d’une base réelle de démocratie commence par l’instauration de l’autorité de l’État, la sécurité des citoyens et de leurs biens. La mise en place d’un gouvernement de technocrates avec 20 ministres devrait faire l’affaire du pays. Le conseil National de Transition et de la Réconciliation (CNTR), composé de toutes les couches socioprofessionnelles aura pour mission de doter la Guinée d’une constitution moderne, inclusive et qui prend en compte les réalités sociopolitiques du pays. L’adoption, par voie référendaire de cette nouvelle constitution et l’organisation des élections locales, législatives et présidentielles, achèveront la transition. Comme vous le voyez ce vol d’oiseau à besoin d’un temps raisonnable de trois ans pour faire un boulot correct.
6- Le débat sur le renouvèlement de la classe politique est relancé depuis le 05 septembre. Certains souhaitent l’insertion de la limitation de l’âge de candidats dans la prochaine constitution. D’autres demandent le bipartisme. Quelle est votre approche ?
(rire) le débat sur la limitation de l’âge est sans fondement rationnel. Aucun décret ou loi juste ne peut exclure un citoyen du chemin de la vie politique. Seuls la probité morale de nos candidats, leur programme, leur santé physique et mentale devront guider le choix des électeurs. Ceux qu’on traite de vieux aujourd’hui ont une expérience dont le pays et sa jeunesse positive ont besoin encore. Le renouvèlement de la classe politique est une révolution interne au sein des partis politiques lors des congres et conventions désignant les responsables de chaque entité.
Sur la deuxième question relative au bipartisme, il faut prendre cela comme une volonté d’éviter la fragilisation du tissu social pendant la période électorale. Encore, aucune loi ne doit interdire ou de limiter le nombre du parti dans ce pays. Le multipartisme intégral, utilisé à bon escient, est le meilleur indicateur de la vitalité démocratique d’un pays. Il permet la naissance des génies politiques. Par contre la création et la gestion d’un parti doit respecter strictement la charte sur les partis politiques. L’application de cette loi fera disparaitre beaucoup de formations fantômes ayant pour leurs sièges le coffre de leur leader. L’émergence des partis dominants se fera à travers la qualité des animations du débat public et le projet de société. Il n’y a aucun pays démocratique au monde où le bipartisme est imposé.
En revanche, pour éviter les violences ethniques pendant la période électorale, je serai favorable à l’instauration d’un poste de vice-président à la place du premier ministre. Les colistiers seront généralement de deux origines différentes. Chaque ticket (président & vice-président) mobilisera les Guinéens de toutes les ethnies. A cela, s’ajoutera une sérieuse décentralisation du pouvoir vers la collectivité locale en dotant les élus de moyens suffisants pour gérer les problèmes essentiels de leur localité.
7– au terme de la transition, quels sont les partis qui pourraient émergés, voire remporté les élections selon vous ?
La carte politique de ce pays est très compliquée à lire. Entre le matin et le soir, un grand parti peut se vider de ses militants pour affluer vers un autre navire. Cela s’explique par le charisme de son président qui attire plus que son programme politique. A titre illustratif, l’UFDG de BAH Oury de 1992 à 2006 n’avait pas plus de militants que les brins d’une boite d’allumettes. C’est sous la présidence de Mr Cellou DIALLO qu’il a atteint cette dimension que nous connaissons de lui. Qu’est ce qui reste du PDG, du PUP, du UPG, du UPR et du RPG de maintenant ? juste les agréments ! (Rire). Depuis les évènements du 05 septembre 2021, as-tu vu un militant du RPG arc-en-ciel dans ce pays ? As-tu entendu un seul assumé sa responsabilité ce ne reste que morale dans le projet du troisième mandat ? Et ça ne fait pas encore un mois hein !
Sérieusement, si l’UFDG soigne sa stratégie de communication en orientant son message vers ceux qui doivent être rassurés par son projet de société, d’une part et qu’il parvienne à canaliser ses extrémistes d’autre part, il aura une longueur d’avance sur les autres partis. J’insiste sur ce parti, parce qu’il doit savoir que celui qui cherche le pouvoir et celui est entrain de perdre son pouvoir, ne peuvent utiliser le même dictionnaire de communication. De l’autre côté de la plaque, si le RPG se réveille de sa gueule de bois à temps et maintient dans ses rangs ceux qui ne seraient pas aller ailleurs, il sera un outsider remarquable au même titre que l’UFR de l’inamovible Sidya.
8– si vous avez une audience chez le président du CNRD, quels sont les sujets que vous aborderez avec lui ?
(Rire)… écoute je lui dirai de rentrer dans l’histoire de ce pays par la grande porte. Notre monde actuel ne connait plus la mort. Certes nos corps sont enterrés, mais nos faits et gestes sont éternels sur l’internet. Je lui dirai que ce nous disons et faisons de nos jours, alimenterons la mémoire ce plusieurs générations après notre disparition physique. Mandela est éternel dans la pensée collective de l’humanité parce qu’il a choisi l’honneur au détriment du bonheur personnel. Mon Colonel, soyez équitable et courageux devant tous les obstacles qui se dresseront sur votre chemin.
9- Nous avons constaté certaines arrestations suivies de libération de certains dignitaires du défunt régime, ne craignez-vous pas le recours à certaines vieilles pratiques en Guinée, notamment les arrestations arbitraires ?
Non non. Je ne suis pas d’accord. L’équipe militaire actuelle est composée d’intellectuels qui tient au respect du droit des citoyens. L’ex-ministre auquel vous faites allusion à porter attente, par ses communications subversives, à la sécurité nationale. Dans ces circonstances, il faut une action inopinée pour saisir les preuves. Personne n’a mieux justifier les ratissages dans les quartiers de l’opposition en Guinée plus que cet individu. Quand 9 change de position, il devient 6 ! (rire). Ceux qui ont perdu le pouvoir en 1984, ont été fusillés sans exception aucune. Aujourd’hui, les membres du défunt régime sont à la maison. Ceux qui resteront sages, ne devraient pas être inquiéter sauf s’ils sont sollicités par la justice autour d’un dossier.
10- si vous étiez en face du peuple de Guinée, particulièrement en face de la jeunesse Guinéenne, quels seraient vos messages forts ?
A chaque étape de l’évolution d’un peuple, le Bon Dieu a su lui donner un dirigeant qui résume sa mentalité. C’est dans notre cœur que naissent les actes de nos dirigeants. Si nous rejetons le mensonge, la corruption, l’ethnocentrisme et l’injustice, nos chefs les rejetterons à leur tour. Les maux de la Guinée réside dans le quotidien de ceux qui devraient les combattre : les intellectuels. Ce tournant décisif qu’amorce notre pays devrait être une franche occasion pour nous de choisir la GUINEE à l’image de nos pères en 1958. Je crois enfin que le moment est venu pour la jeunesse de s’impliquer, avec détermination, dans la politique à travers des débats constructifs et responsables.
Merci et à bientôt
Réalisée par Karifa Zoumanigui