L’Organisation mondiale de la santé (OMS) critique l’annonce par l’UE de contrôler l’exportation des vaccins produits au sein du bloc européen. Elle affirme que de telles mesures risqueraient de prolonger la pandémie.
L’UE a introduit cette mesure dans le cadre d’une dispute avec les fabricants de vaccins sur les insuffisances de livraison.
Mais Mariangela Simao, vice-présidente de l’OMS, soutient qu’il s’agit d’une « tendance très inquiétante ».
Auparavant, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, chef de l’OMS, a indiqué que le « nationalisme en matière de vaccins » pourrait conduire à une « guérison prolongée « .
S’exprimant lors de l’Agenda de Davos – une version virtuelle du sommet mondial – il estime que la thésaurisation des vaccins « maintiendrait la pandémie en activité et … ralentirait la reprise économique mondiale » en plus d’être un « échec moral catastrophique » qui pourrait encore accroître l’inégalité mondiale.
Que fait l’Union européenne ?
L’Union européenne met en place des contrôles à l’exportation des vaccins contre les coronavirus fabriqués sur le terrtoire européen, au milieu d’une querelle sur les insuffisances de livraison.
Le mécanisme dit de transparence donne aux pays de l’UE le pouvoir de refuser l’autorisation d’exporter des vaccins si l’entreprise qui les fabrique n’a pas honoré les contrats existants avec l’UE.
« La protection et la sécurité de nos citoyens est une priorité et les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ne nous laissent pas d’autre choix que d’agir », soutient la Commission européenne
Ces contrôles concerneront une centaine de pays dans le monde, dont le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada et l’Australie; mais de nombreux autres, y compris des pays plus pauvres, en sont exemptés.
Toutefois, l’UE a été contrainte de revenir sur son projet d’imposer des restrictions à l’exportation de vaccins à travers la frontière de l’île d’Irlande, après les protestations de Dublin et de Londres.
L’UE insiste sur le fait que ses contrôles sont temporaires et ne constituent pas une interdiction d’exportation.
Pourquoi cela se produit-il maintenant ?
La nouvelle arrive au moment où l’Union européenne se trouve dans un conflit très public avec le fabricant de médicaments AstraZeneca au sujet de l’approvisionnement, et sous la pression croissante de la lenteur de la distribution des vaccins.
Plus tôt dans la journée de vendredi, la Commission a rendu public un contrat confidentiel avec AstraZeneca, la société suédo-britannique à l’origine du vaccin d’Oxford, afin d’étayer son argument selon lequel la firme n’a pas tenu ses promesses de livraison au bloc européen.
Selon la nouvelle règle, les fabricants de vaccins devront demander une autorisation avant de fournir des doses en dehors de l’UE. Les 27 États membres de l’UE pourront examiner ces demandes d’exportation.
Les vaccins produits par Pfizer en Belgique sont actuellement exportés vers le Royaume-Uni, et l’UE insiste sur le fait qu’une partie du vaccin d’AstraZeneca produit en Angleterre est destiné sous contrat à des citoyens de l’UE.
L’UE est également en conflit d’approvisionnement avec Pfizer, qui ne devrait pas fournir le volume de vaccins prévu par le contrat pour l’UE d’ici la fin mars. Selon Pfizer, cela s’explique par l’expansion urgente de son usine de Puurs, en Belgique.
Le manque à gagner d’AstraZeneca pour l’UE devrait être d’environ 60 % au premier trimestre 2021.
À l’annonce des contrôles à l’exportation, l’autorité européenne de réglementation des médicaments, l’EMA, a autorisé l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca chez les plus de 18 ans.
Qui est exempté des contrôles à l’exportation ?*
L’UE autorise quelque 92 dérogations au régime de contrôle des exportations, notamment pour les dons de vaccins au Covax, le programme mondial d’aide aux pays pauvres, et pour les exportations vers la Suisse, les pays des Balkans occidentaux, la Norvège et l’Afrique du Nord. D’autres pays méditerranéens, comme le Liban et Israël, sont également exemptés.
Expliquant les mesures à l’exportation, la commissaire européenne à la santé, Stella Kyriakides, explique lors d’une conférence de presse qu’elles garantiront l’accès aux vaccins à tous les citoyens de l’UE et que toutes les parties respecteront les règles du jeu.
« Cette approche est fondée sur la confiance, la transparence et la responsabilité », dit-elle.
Toutefois, le directeur des urgences de l’OMS, Michael Ryan, a déclaré que les différends entre les pays riches au sujet des vaccins étaient préoccupants, étant donné que les travailleurs de la santé et les populations à haut risque dans d’autres parties du monde devaient attendre longtemps avant de pouvoir se faire vacciner.
« Cela ressemble à une lutte pour le gâteau, alors qu’ils n’ont même pas accès aux miettes », explique-t-il.
La pression augmente à mesure que les nations s’impatientent
Selon Katya Adler, rédactrice en chef de la BBC pour l’Europe, certains gouvernements de l’UE commencent à montrer de l’impatience à l’égard de Bruxelles, qui espérait que son programme d’achat de vaccins serait un phare de la solidarité et de la force européennes.
Le processus de négociation laborieux de la Commission, l’approbation tardive des vaccins par le régulateur médical de l’UE et les retards actuels dans les livraisons de vaccins ont fait que les citoyens de l’UE exigent des réponses et des actions, déclare Katya Adler.
Markus Söder, premier ministre bavarois et éventuel futur chancelier allemand, a confié vendredi à la télévision ZDF qu’il avait l’impression que la Commission « a commandé trop tard, et n’a parié que sur quelques entreprises, elles se sont mises d’accord sur un prix dans le cadre d’une procédure européenne typiquement bureaucratique et ont complètement sous-estimé l’importance fondamentale de la situation ».
L’ancien premier ministre suédois Carl Bildt écrit sur Twitter qu’il « espère ne pas voir [l’Union européenne] mener le monde sur la voie destructrice du nationalisme vaccinal ».
« Toute l’histoire de succès de notre continent a été celle de chaînes de valeur mondiales ouvertes », ajoute-t-il.
Au début de la semaine, l’UE indique que cette proposition est sur la bonne voie. Il s’agirait d’un « système de notification », selon les fonctionnaires. Rien de plus qu’un moyen de faire preuve de transparence.
Cela s’est maintenant transformé en une politique de contrôle des exportations, en partie à cause de l’insistance de l’Allemagne pour que les gouvernements de l’UE soient ceux qui décident si les entreprises basées dans l’UE peuvent exporter des vaccins ailleurs.
Les fonctionnaires de l’UE me disent que cette politique a également été déclenchée en partie par la profonde suspicion de la « vague justification » donnée par AstraZeneca cette semaine, lorsque leur directeur général a insisté sur le fait que le problème de production était dû à une « baisse de productivité » dans son usine belge.
Ce nouveau système de contrôle des exportations pourrait bien affecter les livraisons de vaccins britanniques.
Pfizer expédie actuellement des doses du site de Puurs ici vers le Royaume-Uni. À l’avenir, Pfizer devra remplir un formulaire d’exportation et attendre jusqu’à 48 heures pour que sa demande d’exportation soit acceptée ou rejetée par le gouvernement belge. Cette décision serait basée sur la question de savoir si l’entreprise peut prouver que le transport de ce lot de vaccins vers le Royaume-Uni n’affecterait pas l’accord européen existant.
BBC