Les autorités guinéennes et le président Alpha Condé, lui-même ancien détenu d’opinion, se sont régulièrement engagés à améliorer les conditions de détention; mais « rien n’a changé depuis 10 ans », a déclaré un chercheur d’Amnesty International à la BBC.
Kiné Fatim Diop, chargée de campagne à Amnesty International, qui suit depuis des années la situation des prisons en Guinée, s’est confiée à la BBC aux lendemains de la mort en détention de Roger Bamba, un responsable du principal parti de l’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG).
« Je suis triste qu’il soit mort en prison. Parce que c’est un innocent. Sa seule faute, c’est un militant de l’UFDG. Il a manqué de soins. S’il avait pu bénéficier de soins adéquats, certainement sa vie aurait été sauvée », a déclaré jeudi Celou Dalein Diallo, principal leader de l’opposition et président de l’UFDG, critiquant les conditions de détention.
Le porte-parole du ministère de la Justice, Sékou Keita, a déclaré de son côté aux médias que les conditions de détention à la Maison centrale (prison), où était détenu Roger Bamba, sont « appréciables » et que « chaque détenu a un bilan de santé, et que les détenus souffrant d’une maladie contagieuse occupent un pavillon spécial ».
Pourquoi Roger Bamba était en prison
Roger Bamba a été arrêté le 7 septembre à son lieu de travail et accusé de »production, diffusion de propos de nature à troubler la sécurité publique ».
« Quelques jours avant son arrestation, Roger Bamba avait eu des échanges tendus en messagerie privée avec un membre du parti au pouvoir RPG. Ce dernier avait promis de rendre public leurs échanges et les »propos menaçant la quiétude du pays », a rapporté son avocat à Amnesty International.
Le jour de son interpellation, M. Bamba a été convoqué à 9h par la responsable des ressources humaines de l’assemblée nationale, où il est employé comme assistant parlementaire. A son arrivée, il est arrêté par des agents de la police, à en croire son avocat.
Il a été détenu à divers endroits avant d’être déféré à la Maison centrale de Conakry le 10 septembre, d’où il a été transféré à l’hôpital dans la nuit du 16 au 17 décembre. Il est décédé quelques heures après son arrivée.
Roger Bamba est l’un des 300 à 400 personnes interpellées ( les chiffres varient selon sources) dans le cadre des contestations électorales liées à la présidentielle du 18 octobre dernier. Sa mort a choqué plusieurs personnes, au-delà de sa famille politique.
L’Ambassade des Etats-Unis à Conakry, par exemple, a « déploré la perte du militant de l’opposition Roger Bamba, décédé le 17 décembre après avoir été placé en détention préventive depuis le 10 septembre ». Elle a exprimé ses « sincères condoléances à sa famille et à ses amis » et exhorté « le gouvernement de Guinée à respecter les procédures régulières et l’Etat de droit en s’attaquant aux perceptions de restrictions ciblées sur les dirigeants de l’opposition et en veillant à ce que les personnes détenues bénéficient de procès équitables sans retard injustifié »
Amnesty International a demandé aux autorités guinéennes de faire la lumière sur le décès de Roger Bamba en procédant à une autopsie.
Sow, un mois avant Bamba
Un mois jour pour jour avant le décès de Roger Bamba, un autre militant de l’opposition avait lui aussi laissé sa vie en prison.
Arrêté le 24 octobre, Ibrahima Sow, 62 ans, est mort le 17 novembre alors qu’il était toujours sous la supervision des autorités.
Au lendemain de sa mort, le ministère de la Justice a indiqué dans un communiqué que Sow avait été testé positif au Covid-19, puis guéri avant de se « plaindre d’un diabète » et d’être transféré à l’hôpital où il est décédé.
Sa famille et l’Organisation guinéenne des droits de l’hommes (OGDH) accusent les autorités de vouloir dissimuler une mort causée par des actes de torture ou des mauvais traitements en détention.
« Une analyse d’Amnesty International a conclu que, pris ensemble, le schéma des blessures d’Ibrahima Sow suggère fortement l’infliction de brûlures à l’aide d’une tige de fer chaud ou d’un objet similaire. Les blessures sont des preuves très solides de mauvais traitements. Ces blessures pourraient être la cause de la mort d’Ibrahima Sow », a déclaré Amnesty International dans un rapport publié le 15 décembre (deux jours avant la mort de Roger Bamba) et titré « Guinée : des forces de défense et de sécurité ont commis des homicides dans des quartiers favorables à l’opposition après l’élection présidentielle »
Au moins 109 personnes mortes en détention
« En Guinée, les prisons sont surpeuplées et les conditions de détention sont inhumaines », a déclaré à la BBC Kine-Fatim Diop de l’ONG des Droits de l’Homme.
Selon l’administration pénitentiaire, cité par Amnesty, on compte en octobre 2019 quelque 4 375 personnes (2 370 en détention provisoire) détenues en octobre 2019 dans 33 prisons à travers le pays, la capacité d’accueil totale étant de seulement 2 552 places.
Il y a 1 468 personnes détenues à la prison centrale de Conakry dont 1 001 sont en détention provisoire alors que cette prison a seulement une capacité totale de 500 prisonniers.
L’ONG qui surveille les conditions de détention dans les prisons du pays, confie que les autorités guinéennes n’ont pas été en mesure de transmettre des statistiques exhaustives sur le nombre de morts en détention depuis 2015.
« Une estimation prudente établirait à au moins 109 personnes le nombre de personnes mortes en détention entre 2015 et octobre 2019, bien que les chiffres réels soient probablement plus élevés »,
Selon les autorités pénitentiaires, la plupart des décès en détention sont dus au béribéri (une maladie causée par le déficit d’une vitamine) et à des maladies infectieuses. Plusieurs détenus sont également morts des suites de malnutrition aiguë ou d’actes de violence.
Mettre fin au passé répressif
Amnesty International les aux autorités guinéennes à « prendre des mesures urgentes pour réduire le surpeuplement carcéral, notamment en remplaçant la détention par des mesures non privatives de liberté et en faisant en sorte que les personnes ne restent pas en détention provisoire au-delà du délai prévu par la loi. »
« Les autorités doivent faire en sorte que les personnes privées de liberté soient détenues dans des conditions humaines ».
« Les autorités doivent de toute urgence mener sans délai des enquêtes indépendantes, impartiales et exhaustives sur tous les cas de décès, allégations de mauvais traitements ou tortures en détentions. Les personnes suspectées doivent être poursuivies et jugées pour mettre fin à la culture d’impunité ».
« Enfin, si le Président Alpha Condé souhaite mettre un terme au passé répressif, il doit mettre fin au harcèlement des opposants et militants pro-démocratie . Les autorités doivent libérer sans condition toutes personnes détenues arbitrairement pour avoir protester pacifiquement contre le 3e mandat. »
Avec BBC