Pressé par son parti, le président guinéen ne s’est pour le moment pas officiellement porté candidat à un troisième mandat. Rassemblés au sein du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), ses opposants ne désarment pas. Entretien avec le coordonnateur du mouvement, Abdourahmane Sano.
Au Palais du peuple de Conakry, les partisans du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG-arc en ciel) célèbrent le président Alpha Condé. Les murs de la salle, qui d’ordinaire accueille les députés, sont tapissés de rideaux jaunes, la couleur du parti au pouvoir. Au même moment, au tribunal de première instance de Dixinn, s’ouvre le procès d’Oumar Sylla, dit « Foniké Mengué ». Responsable de la mobilisation du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), il est accusé d’avoir voulu fomenter une insurrection.
Deux tableaux, deux combats. La Guinée donne, depuis plus d’un an et demi, l’image d’un pays scindé en deux, entre ceux qui veulent que le président guinéen brigue un troisième mandat, et les autres, réunis au sein du FNDC, qui s’y opposent au nom de l’alternance politique.
Abdourahmane Sano fait partie de ces derniers. Depuis avril 2019 et la création du mouvement, cet ancien ministre de l’Élevage du gouvernement de transition et membre actif de la société civile coordonne le FNDC.
Pour Abdourahmane Sano, la Guinée est actuellement « dans un processus de coup d’État » fomenté par celui qu’il appelle « monsieur » Alpha Condé. Dans cette période de tensions politiques, il assure que « le dialogue est nécessaire », mais pas au détriment des principes démocratiques.
Signe que le pays est bien coupé en deux, la convention organisée les 5 et 6 août par le parti présidentiel préoccupe peu un FNDC qui campe sur ses positions : il ne reconnaît pas la nouvelle Constitution, et Alpha Condé n’a pas le droit de briguer un troisième mandat. La manifestation qui devait se tenir le 6 août a été annulée sine die pour cause « d’examens scolaires ».
Jeune Afrique : Lors de la création du FNDC, en 2019, le mot d’ordre était « pas de changement de Constitution, pas de troisème mandat ». Depuis, une nouvelle Constitution a été mise en place et le président de la République a été désigné candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020 par son parti. La bataille est-elle perdue ?
Abdourahmane Sano : Nous n’avons perdu aucune bataille car nous considérons que la mascarade électorale orchestrée par monsieur Alpha Condé le 22 mars est un processus de coup d’État que nous ne reconnaissons pas et qui se concluera avec son élection pour un troisième mandat. Le FNDC veut continuer son combat contre ce troisième mandat et pour une alternance apaisée dans le respect des principes démocratiques.
Mais une nouvelle Constitution a depuis été établie…
Au FNDC, nous considérons que nous sommes aujourd’hui dans une situation de non-droit. Le pouvoir a rejeté une Constitution validée par toutes les composantes de la société en 2010, pour nous en imposer une nouvelle, falsifiée et promulguée sans avoir été votée.
Il ne faut pas oublier que nous avons le peuple de notre côté. Le FNDC a fait, à plusieurs reprises, des démonstrations de force qui ont montré à l’opinion nationale et internationale que les Guinéens sont massivement contre le processus électoral qu’Alpha Condé impose.
D’ailleurs, dès que l’exécutif s’est rendu compte de notre capacité de mobilisation, il a commencé à interdire les manifestations et à réprimer les jeunes, qui marchent pourtant pacifiquement. Depuis le 5 juin 2019, nous avons enregistré 92 morts liés au processus électoral en cours. Militaires, policiers, gendarmes ont été impliqués dans ces tueries. Il faut que cela cesse.
Ils sont libres de dire ce qu’ils veulent. Je constate que ces gens et ces médias ne font que relayer les positions du pouvoir. Nous menons en effet un combat citoyen, qui relève du domaine de la politique. Car en cherchant à empêcher un troisième mandat d’Alpha Condé nous voulons instaurer la démocratie dans notre pays et favoriser l’alternance.
Nous réunissons tous les Guinéens qui avec nous disent « non au troisième mandat », sans tenir compte d’aucun statut : Cellou Dalein, Lansana Kouyaté et les autres sont dans le FNDC parce qu’ils sont avant tout guinéens. Si Alpha Condé était dans l’opposition aujourd’hui, il serait certainement à nos côtés. Et s’il n’était pas dans une logique de bafouer la démocratie, nous serions avec lui aujourd’hui.
Pour l’instant, Ousmane Kaba, du PADES, est le seul membre du FNDC à avoir déclaré sa candidature. Dans le même temps, les autres partis politiques qui participent à votre mouvement appellent à boycotter le scrutin si le président Alpha Condé se présente. Ne craignez-vous pas une scission au sein même du FNDC ?
C’est bien la preuve que le FNDC n’est pas politisé. Je le répète, le FNDC n’est pas une coalition politique qui aurait pour objectif de conquérir le pouvoir. C’est un simple mouvement citoyen qui veut favoriser la démocratie dans le pays. Ceux qui décident d’aller aux urnes sont dans leur droit.
Le dialogue est-il possible avec les membres de l’exécutif ?
Pourquoi pas ? On ne peut pas vouloir le principe de démocratie sans être animé par l’esprit de dialogue. Nous sommes un mouvement pacifique, et le dialogue fait partie de l’un de nos principes fondamentaux.
Des désaccords subsisteront, notamment sur la question du troisième mandat, mais, dans la situation dans laquelle se trouve le pays, nous devons nous réunir autour d’une table.
En 2010, c’est à travers le dialogue, sous la houlette de la Cedeao et de la communauté internationale, que nous avons pu aboutir à la Constitution de mai. Celle qui a permis à Alpha Condé d’arriver au pouvoir dans le cadre d’élections civiles et structurées. Si le dialogue est au bout du canon, à nous d’en tirer les conséquences.
Le 22 mars dernier, la politique de la chaise vide pratiquée par les partis d’opposition a montré ses limites : le double scrutin – les législatives et le référendum – a pu se tenir. Pour la présidentielle, pourquoi le FNDC ne désigne-t-il pas un candidat commun ?
Les responsables politiques qui sont parmi nous auraient pu, en effet, penser à une telle alternative. Mais il faut tout de même rappeler que les élections en Guinée ont toujours donné lieu à des contestations violentes.
Aujourd’hui, nous savons que la Cour constitutionnelle, institution extrêmement importante dans le processus électoral, est du côté du pouvoir. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) est aussi du côté du pouvoir, comme l’a démontré le rapport d’audit du fichier électoral réalisé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Quand il devient évident que les membres d’un organisme d’arbitrage sont acquis à la cause d’un camp au détriment d’un autre, peut-on prendre le risque de se lancer dans un processus électoral ? Que peut-on attendre des élections dans ce pays à moins de se rendre complice de ce déni de démocratie ?
Avec Jeune Afrique