De nombreux pays africains ont mis en place des mesures de confinement afin de stopper la propagation du coronavirus, mais, comme le soutiennent Alex de Waal et Paul Richards, les gens ordinaires doivent participer au choix des solutions qui leur conviennent.
Les pays du continent ont beaucoup appris de la lutte contre des épidémies telles que le VIH et le virus Ebola, qui devraient être mises à profit pour faire face à l’impact du Covid-19.
La leçon la plus importante est que les communautés doivent être à la pointe de la stratégie de riposte.
Ce n’est pas un vœu pieu, mais une réalité, une situation vécue.
Premièrement, les épidémies de maladies infectieuses se développent différemment dans les différentes communautés, en fonction des conditions sociales que seuls les habitants peuvent connaître.
Deuxièmement, aucune mesure de contrôle, par exemple un confinement, ne peut être imposée sans le consentement des personnes touchées.
Ce n’est que lorsque les populations locales sont pleinement impliquées dans la planification et la mise en œuvre des mesures de contrôle des épidémies qu’elles peuvent travailler à leur application.
Les autorités sanitaires ont élaboré un guide utile pendant l’épidémie du SIDA : « s’informer, se protéger et agir ».
Il est utile de considérer le Covid-19 non pas comme une pandémie mondiale unique, mais comme une flambée simultanée d’innombrables épidémies locales, chacune légèrement différente.
Les mécanismes fondamentaux de transmission du virus sont les mêmes partout. Mais la vitesse et le mode de propagation varient d’un endroit à l’autre.
Une commune densément peuplée aura une trajectoire différente de celle d’une banlieue de classe moyenne ou d’un village.
L’épidémie se propagera à nouveau différemment dans les camps de réfugiés et parmi les peuples nomades.
La charge de morbidité en Afrique est différente
Dans chaque cas, les facteurs clés sont les comportements sociaux tels que les salutations, la promiscuité entre les personnes de différentes générations, le lavage des mains ou le maintien d’une distance physique.
Les experts peuvent construire leurs modèles en se basant sur des hypothèses et des moyennes, mais seules les communautés peuvent savoir ce que cela signifie pour leur situation particulière.
L’Afrique a un fardeau de maladies différent des autres continents.
Il y a de bonnes raisons de craindre que le Covid-19 soit particulièrement dangereux pour des dizaines de millions de personnes atteintes de tuberculose ou dont le système immunitaire est affecté par le VIH.
On sait peu de choses sur ce que signifie l’infection par le coronavirus pour les personnes atteintes de paludisme ou souffrant de malnutrition.
D’autre part, la population africaine est jeune.
L’une des raisons invoquées pour expliquer les taux de mortalité élevés en Italie est qu’une grande partie des personnes âgées [23 % de la population a plus de 65 ans] sont les plus exposées au risque de contracter la maladie.
En revanche, moins de 2 % de la population africaine a plus de 65 ans.
Pour cette seule raison, le taux de mortalité du virus pourrait être plus faible sur le continent.
Il est clair que chaque pays africain devra concevoir sa propre riposte sanitaire adaptée à ses propres besoins.
Les gouvernements ne disposent pas des données et des modèles nécessaires à des prévisions précises des experts, et ne les obtiendront pas assez rapidement.
Mais il existe une meilleure méthode, qui a fait ses preuves : le dialogue avec les communautés.
Les médecins et les épidémiologistes peuvent fournir les informations médicales, les communautés peuvent fournir les détails contextuels et la connaissance de ce qui a fonctionné pour elles dans le passé.
La Chine, l’Europe et l’Amérique du Nord ont toutes adopté à peu près la même politique de contrôle des épidémies : le confinement.
Les gouvernements africains ont suivi l’exemple, mais en général, le confinement peut être tout simplement impossible à mettre en œuvre sur le continent.
Seuls quelques pays africains, tels que le Rwanda et l’Afrique du Sud, ont la capacité d’administrer une stratégie centralisée.
Pour les personnes qui vivent au jour le jour et qui doivent gagner de l’argent sur le marché pour acheter de la nourriture, quelques jours de confinement font la différence entre la pauvreté et la famine.
Pour les personnes qui connaissent déjà des difficultés à cause du chômage, de la sécheresse ou d’un essaim de sauterelles, l’aide sociale est assurée par les proches.
Les lock-down menacent également d’interrompre les chaînes d’approvisionnement en médicaments essentiels pour traiter la tuberculose, le VIH et d’autres maladies.
Si l’on veut qu’une forme quelconque de confinement fonctionne, des mesures d’aide d’urgence sont nécessaires.
Le confinement qui n’a pas fonctionné
Il s’agit notamment de l’aide aux personnes qui ont perdu leur emploi ou l’argent qu’elles recevaient de leur famille en Europe et en Amérique pour maintenir ouvertes les chaînes d’approvisionnement en nourriture et en carburant.
Certains pays, par exemple l’Ouganda et le Rwanda, distribuent gratuitement des denrées alimentaires.
Le Ghana a annoncé la gratuité de l’électricité, de l’eau et une exonération fiscale.
Mais les gouvernements africains n’ont tout simplement pas les fonds nécessaires pour maintenir ce genre de mesures sans aide internationale.
Si les moyens de subsistance de base ne peuvent être garantis, un confinement total n’est pas pratique. Les pauvres préféreront s’exposer à la maladie pour gagner leur vie face à la certitude de la famine.
Lors de l’épidémie d’Ebola, lorsque le gouvernement libérien a ordonné à l’armée d’isoler West Point, dans la capitale, Monrovia, en 2014, il a découvert en quelques jours que la mise en quarantaine était si impopulaire qu’il était impossible à appliquer. Elle n’a pas non plus arrêté la transmission.
Très rapidement, le gouvernement a adopté une politique consistant à demander aux chefs de communauté de concevoir et d’appliquer leurs propres politiques de contrôle.
La simple leçon que la santé publique fonctionne par consentement a été apprise en Sierra Leone également.
Les communautés ont pris l’initiative de concevoir leurs propres mesures de quarantaine, qui ont ensuite été adoptées par les agences internationales.
Ce qu’il faut en Afrique
Les principales leçons à tirer de la lutte contre l’épidémie sont qu’il faut agir rapidement mais localement.
C’est ce que les pays africains devraient faire.
Les systèmes de santé africains sont déjà surchargés.
Les dispositions contre le Covid-19 exigent une réponse d’urgence à grande échelle, et cela commence par les gouvernements.
Les hôpitaux africains ont besoin de kits de dépistage, de matériel de base pour l’hygiène, d’équipements de protection individuelle pour les professionnels de la santé et d’équipements pour la respiration assistée.
Il y a une pénurie mondiale de tous ces éléments et les pays développés se bousculent honteusement pour obtenir leurs propres fournitures, reléguant l’Afrique en queue de peloton.
Mais alors que la réponse internationale prend de l’ampleur, les gouvernements africains devraient coordonner leurs évaluations des besoins et leurs approvisionnements.
Un deuxième besoin pressant est de mettre en place des hôpitaux de campagne pour l’afflux des cas qui arriveront au pic de l’épidémie, qui semble se produire généralement environ huit semaines après que la transmission dans la communauté est devenue évidente.
Par nécessité, ces hôpitaux doivent être très simples : des tentes dans un champ d’école ou même des hangars à toit de chaume dans la brousse.
Il n’y aura tout simplement pas assez de respirateurs ou d’unités de soins intensifs.
L’objectif modeste est de faire en sorte que les membres de la famille puissent soigner les patients atteints de Covid-19 sans handicaper les hôpitaux ou les centres de santé locaux.
Garder les établissements de santé ouverts à des groupes tels que les mères et les bébés, sans infection croisée avec le Covid-19, est un autre objectif clé, sinon l’augmentation de la maladie et des décès dus à d’autres causes pourrait dépasser le virus lui-même.
Les communautés peuvent aider en trouvant des sites, en construisant des camps et en soignant les patients selon un protocole de soins à domicile pour le virus, avec une supervision par des professionnels de la santé à une distance sûre.
Un défi encore plus grand consistera à maintenir les économies fonctionnelles et à arrêter le glissement vers la misère et la faim.
Les pays africains ne peuvent pas fermer leurs marchés de produits frais, sinon les gens vont mourir de faim.
Mais les acteurs du marché peuvent facilement trouver des moyens de réduire les risques de transmission, grâce à des mesures telles qu’une meilleure hygiène, le contrôle des foules et des barrières physiques comme les feuilles de polyéthylène sur les points de vente.
Une autre proposition consiste à ce que chaque ménage désigne une seule personne pour acheter les denrées alimentaires, et que les autorités du marché fournissent à cette personne un identifiant tel qu’un bracelet de couleur.
L’acheteur désigné serait alors isolé des autres membres du ménage en rentrant chez lui.
Certains marchés pourraient être temporairement déplacés vers des sites plus sûrs.
Dans certains pays, il est possible de passer aux transactions par téléphone portable sans espèces ; dans d’autres, on peut faire appel à des entreprises qui envoient des fonds chez elles.
Le plus important n’est pas une liste de bonnes idées, mais une discussion appropriée avec les commerçants, les clients, les autorités du marché, les chefs et les autorités locales.
Ce sont eux qui sauront ce qui fonctionnera pour eux, et comment le contrôler et le faire appliquer.
La fermeture des marchés peut provoquer une grave crise sociale.
Il ne s’agit pas seulement de créer de la pauvreté, de la faim et du ressentiment, mais aussi de mettre en danger la mise en place de mesures de contrôle des épidémies efficaces.
Pas de temps à perdre
Aujourd’hui, les experts de la santé publique n’ont pas proposé d’alternatives au confinement total.
Ils n’ont pas exploré les variantes locales d’isolement, de restriction des mouvements, de recherche des contacts et de quarantaine.
C’est parce qu’ils n’ont pas encore demandé leurs propositions aux communautés locales.
Il n’y a pas de temps à perdre et les consultations communautaires doivent commencer dès maintenant.
L’expérience acquise dans la gestion d’épidémies telles que le VIH et le virus Ebola constitue une leçon encourageante.
Les gens ordinaires ne sont pas le problème, ils sont plutôt la solution.
La bonne nouvelle est que les communautés peuvent rapidement apprendre à penser comme des épidémiologistes, à condition que les épidémiologistes soient prêts à penser comme les communautés.
Alex de Waal est le directeur de la Fondation mondiale pour la paix de l’Université de Tufts et l’auteur de Aids and Power : Why there is no political crisis – yet.
Paul Richards est anthropologue et auteur de Ebola : How a people’s science helped end an epidemic.
BBC